Demain est annulé

Demain est annulé, cette inscription lue sur un mur, est riche d’enseignement. Elle exprime, à l’évidence, l’absence de confiance en l’avenir de celui qui l’a écrite. Mais elle fait naître aussitôt deux questions. Qui a annulé demain ? Par quoi le remplacer ?

Faute de précision, il faut donc considérer qu’il y a une main invisible qui a annulé demain, à laquelle le scripteur se soumet. Or en règle générale, lorsqu’une chose prévue est annulée, soit elle est remplacée par une autre, soit l’existant est maintenu. Ou encore, s’agissant d’un spectacle qui est annulé, celui qui a réservé est remboursé. Qu’attend donc notre scripteur puisque ces trois mots ne sont accompagnés d’aucun commentaire, et même d’aucun point d’exclamation ?

Il ne s’agit donc ni d’un étonnement, ni d’un regret, c’est juste un fait. C’est juste l’annonce de la fin du monde, car s’il n’y a plus de demain c’est que tout s’arrête aujourd’hui. Ainsi, curieusement, celui qui a écrit cela, a sans doute voulu dire qu’il voulait un autre monde et, de fait, il a exprimé le contraire de ce qu’il voulait faire partager.

Chacun se souvient de cette affirmation : « En 1789 on a pris la Bastille, en 1968 on a pris la parole.» Mais, en 2016, que veut prendre l’auteur de cette sentence, ou ceux qui participent à Nuit debout, dont notre scripteur est sans doute proche ? Par quoi veut-il remplacer demain ? Assurément pas, par aujourd’hui, par un hier peut-être, mais lequel ? Et c’est là que la sentence trouve sa limite car, dans notre France qui aime tant les Lettres, et les bons et beaux mots, un slogan ne saurait suffire.

Et c’est là, une nouvelle fois, que ceux qui voudraient faire naître un espoir, sont les premiers à apporter du découragement. Car dire que demain est annulé c’est dire que l’apocalypse est là, que tout est foutu…A moins qu’il ne faille comprendre ce terme dans le sens de l’apocalypse de Jean, dernier livre du nouveau testament, qui se présente comme une révélation de Jésus Christ ?

Nous pouvons douter du caractère religieux de la démarche de notre auteur, mais nous pouvons lui accorder le bénéfice du doute. Voulait-il nous annoncer une révélation ? Demain est annulé, signifiant alors que le demain que nous attendions, suite d’aujourd’hui, n’aura pas lieu mais qu’un demain complètement nouveau nous attend… Pourquoi pas, mais lequel ? Quelles valeurs, quelles idées, quels projets….si c’est une nouvelle fois, une envie de nous proposer les utopies, qu’elles soient communistes ou libertariennes ou communautaristes nous disons non. Ce qui ne signifie pas que le monde que nous vivons et qui, comme toujours, change plus vite que la compréhension que nous en avons, ne mérite pas réflexion.

Mais, dans notre pays, il repose sur le principe démocratique et sur les trois valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité de la République Française. Notre demain est encore là, et 1789 reste une référence déterminante, dont la puissance universelle va bien au-delà de celle de 1968 ou d’autres mouvements sociaux de notre histoire. Pour respectables qu’elles soient, car expressions des attentes du corps social à un moment donné, ces manifestations n’ont jamais été aussi profondes et fondatrices que ce que l’on a appelé à juste titre, et, avec quelle force symbolique, "les Lumières ".

Car comme le dit Régis Debray : « la République ne doit pas éteindre les lumières »